Chapitre 21

 

Je revins à moi dans le salon de Lugh, le châle confortablement coincé sous le menton, tandis que le feu s’efforçait de disperser l’air froid. Frissonnant, je serrai le châle autour de moi en doutant d’être capable de retrouver un peu de chaleur.

En général, la colère me réchauffe bien, aussi j’essayai de rassembler une bonne dose d’indignation à l’intention de Lugh. Je ne savais pas exactement ce qu’il m’avait fait pour briser les murs de ma mémoire mais cela avait été un sale tour. Je me tournai pour l’affronter, prête à lui balancer quelques paroles bien senties, mais aucune ne me vint. Ma peau fourmillait toujours du souvenir du démon essayant de pénétrer en moi. Pas étonnant que la possession par un démon ait été mon pire cauchemar après ce petit épisode ! Et quelle ironie de découvrir que je devais apparemment la vie à Raphael. Si on m’avait posé la question plus tôt, j’aurais été prête à parier qu’il n’aurait pas hésité à tuer quelqu’un de potentiellement aussi dangereux que moi, même si je n’étais qu’une enfant. Et si mes parents avaient créé des ennuis, il aurait été capable de les éliminer eux aussi.

Lugh m’attira dans ses bras. J’étais trop mal et trop bouleversée pour résister. Son corps était un mur solide et protecteur de chaleur et il sentait délicieusement bon. Les yeux fermés, j’enfouis ma tête dans le creux de son épaule. Ses cheveux chatouillèrent ma joue quand il frotta son menton sur le haut de mon crâne.

— Espèce de salaud, marmonnai-je dans son épaule, et ses bras se resserrèrent autour de moi.

— Je suis désolé. Mais tes défenses étaient affaiblies. Je devais savoir ce qui t’était arrivé avant que tu les consolides de nouveau.

— Tu n’aurais pas dû me faire me souvenir de ça.

Mes paroles auraient certainement été plus convaincantes si je n’avais été blottie dans les bras de Lugh, mais j’avais trop besoin de réconfort pour m’écarter.

Il caressa mes cheveux, ma nuque, mon dos.

— J’ai fait ce que je devais faire. Et quoi que tu en penses, garder ce souvenir verrouillé et ne pas s’en soucier n’était pas le meilleur moyen de guérir.

Je secouai la tête.

— Alors tu as fait ça pour me guérir ? C’est ce que tu es en train de me dire ?

Son soupir empli de regret me fit me sentir puérile.

— Tu sais pourquoi je l’ai fait. (Prenant ma joue au creux de sa paume, il me repoussa légèrement afin de me regarder dans les yeux.) Ça va aller, m’assura-t-il en m’adressant un sourire tendre qui me réchauffa comme le feu ne pouvait le faire. Tu es plus forte que tu le crois.

Je fermai les yeux. C’était si facile de tomber sous son charme, de me laisser me détendre et de m’ouvrir en sa présence. Une partie de moi désirait se laisser aller complètement, s’en remettre entièrement à ses soins : cesser d’être toujours en état d’alerte et sur mes gardes. Pourtant, bien que l’idée me tenta, elle me fichait également une trouille de tous les diables. Mon expérience m’avait appris qu’on se fiait aux autres à ses risques et périls et j’étais déterminée à ne pas me mettre en danger.

Je commençai à m’écarter de lui, essayant de démêler mon corps du sien tout en recherchant la colère familière qui me faisait toujours efficacement office de bouclier. Mais il me serra plus fort contre lui, au point que je ne puisse plus bouger. J’ouvris les yeux d’un coup.

— Qu’est-ce que tu fais ? demandai-je dans un petit cri.

Ses lèvres sensuelles se courbèrent, mais il resta muet. Tenant l’arrière de ma tête, il pencha son visage vers le mien. Je compris qu’il avait l’intention de m’embrasser.

J’essayai de me dégager, plus vigoureusement cette fois. Mais son emprise était d’acier. S’il ne voulait pas que je bouge, je ne bougerais pas. À cette pensée, un frisson de peur me parcourut la colonne vertébrale. S’il y a bien une chose que je déteste, c’est me sentir impuissante.

Il était suspendu devant moi, ses lèvres à quelques centimètres des miennes, son parfum épicé unique submergeant mes sens, quand il passa une jambe par-dessus les miennes pour me maintenir encore plus fermement, accentuant le sentiment que j’étais piégée. Mon cœur battait maladroitement dans ma poitrine et mon souffle était court et rapide. J’avais la chair de poule. Je crois même que je tremblais.

Quand il parcourut cette dernière distance entre nous, quand ses lèvres touchèrent les miennes, je sentis un feu embraser mon bas-ventre. J’émis un bruit incohérent, moitié protestation, moitié plaisir, tandis qu’il déposait de légers baisers sur ma bouche. Je voulus lui demander de s’écarter de moi mais, quand j’ouvris la bouche, rien ne vint. Je tentai encore une fois d’échapper à son étreinte en me tortillant, mais en vain. Bien que cela paraisse complètement déplacé dans ce contexte, je fus violemment parcourue par une décharge d’excitation. Profitant de ce qui lui parut être une invitation, il glissa sa langue dans ma bouche.

Je continuais à lutter tandis qu’il goûtait l’intérieur de ma bouche à coups de langue tendres et délicats. Un gémissement empli de désir m’emplit la gorge. Si je voulais vraiment qu’il arrête, tout ce que j’avais à faire, c’était de fermer ma bouche. Bon sang, une dure à cuire comme moi ne devrait avoir aucun scrupule à lui mordre la langue pour lui faire passer le message. Après tout, ce n’était pas comme s’il avait vraiment un corps.

Mais je rien fis rien.

Quand la langue de Lugh caressa la mienne, j’eus la sensation que tout mon corps allait fondre de plaisir. Il avait tellement bon goût que je craignais de ne jamais pouvoir m’en passer, de ne jamais me lasser de savourer ce bouquet de saveurs. Ses lèvres étaient douces et humides, son corps un cocon rassurant de chaleur qui m’entourait. Je m’abandonnai à son baiser, ma langue se mêlant à la sienne, mes dents mordillant ses lèvres.

Mon cerveau partit en vacances. J’oubliai le désordre qu’il avait amené dans ma vie. J’oubliai le traumatisme de l’enfance qu’il venait juste de me forcer à draguer des fonds de ma mémoire. J’oubliai qu’il avait pris le contrôle de mon corps pendant mon sommeil et m’avait trompée pour servir ses propres desseins. Je ne pensais qu’à la manière dont mon corps brûlait pour lui. Je me noyais dans le plaisir de son baiser, abandonnant une partie de moi-même dans le voyage.

Je ne sais combien de temps passa avant qu’il brise le baiser. Je pense que cela dura longtemps. Même si je ne pouvais ignorer son impressionnante érection avec sa jambe passée par-dessus les miennes, il n’essaya pas d’aller plus loin, encore moins de toucher au but… bien que je sois assez partie pour lui laisser faire n’importe quoi de moi.

Quand il me libéra, je miaulai de protestation. J’étais chaude et trempée, pleine d’un désir douloureux, et j’en voulais plus.

Il me sourit tendrement.

— Ça suffit pour maintenant, murmura-t-il. Tu me détesterais si j’en profitais.

J’étais prête à lui assurer le contraire. J’étais prête à dire n’importe quoi pour garder ses lèvres sur les miennes. Mais quand il me laissa de l’espace et la liberté de bouger, les cellules de mon cerveau se remirent à fonctionner et j’eus un mouvement de recul.

— Espèce de salopard ! lançai-je avec plus de conviction que la fois précédente.

Il m’adressa un regard lourd de sens pour me rappeler combien j’avais apprécié ce baiser, que je le veuille ou non.

— Demain matin, dit-il, j’aimerais que tu t’arranges pour parler avec Raphael. Je ne sais ce qu’il dissimule mais il est temps qu’il le révèle au grand jour.

Je le laissai changer de sujet parce qu’en vérité, je ne souhaitais pas parler de la facilité – ni même y penser – avec laquelle je m’abandonnais à lui.

— D’après ce que j’en sais, tu pourrais être en train de l’appeler en ce moment, marmonnai-je d’un air revêche.

— Ça me semble difficile puisque je ne connais pas le numéro de téléphone de son nouvel hôte. Pourtant, Andrew doit l’avoir sur son portable.

— Oh.

— Si tu me laissais la possibilité de parler à Raphael… (Il me jeta un coup d’œil avant de hausser les épaules.) Je sais que tu n’es toujours pas à l’aise avec l’idée de me laisser prendre le contrôle, mais…

— Pas à l’aise est bien loin de décrire ce que je ressens !

Je me rappelai la description d’Adam jeté au fond d’une oubliette quand son démon ne voulait pas entendre parler de lui. Lugh était un type bien – pour un démon – mais je savais que s’il avait une bonne raison, il n’hésiterait pas à me faire vivre la même chose. Une raison supplémentaire pour ne jamais le laisser prendre le contrôle.

Lugh fit comme s’il n’avait pas entendu.

— Mais il est plus probable qu’il me parle à moi plutôt qu’à toi.

Je me rappelai de quelle manière Andy avait décrit la relation entre les deux frères et je doutais que Lugh ait raison sur ce point. Il était fort probable que Raphael refuse de parler à l’un de nous deux.

— Je ne te laisse pas prendre le contrôle, dis-je. Tu le sais déjà, alors ne perds pas ton temps à essayer de me convaincre.

Lugh secoua la tête, déçu.

— Ne crois-tu pas que cela se passerait mieux si tu me laissais prendre les commandes parfois ? Tant que tu es mon hôte, tu es en danger. Si les partisans de Dougal t’attaquent, n’aimerais-tu pas être capable de me laisser émerger pour que je te protège ?

Je croisai les bras sur la poitrine.

— Bien essayé, mais je ne marche pas. Nous avons déjà établi que j’étais en mesure de te laisser émerger en cas de grande urgence. (Par exemple, si une foule de fanatiques s’apprête à me brûler vive sur un bûcher.) Ce qui ne veut pas dire que je dois te laisser prendre le dessus le temps d’une foutue conversation.

— Tu te rappelles combien il m’a été difficile de prendre le contrôle ? demanda-t-il. Tu te rappelles que tu as manqué de peu d’être brûlée ? Si Raphael ne nous avait pas défiés, cela ne se serait peut-être pas produit. La prochaine fois que tu seras en danger, tu n’auras peut-être pas autant de temps.

Oh ! mais quelle idée charmante !

Il marquait un point, je le savais. Il pouvait me protéger comme jamais je n’aurais pu le faire moi-même. Mais le prix était juste trop cher à payer.

— Tu ne me fais toujours pas confiance, dit Lugh, l’air blessé.

Mon instinct m’intima de le rassurer, de panser la blessure dans sa voix. Même s’il n’avait pu lire tout ce que je ressentais, j’aurais étouffé cette pulsion. Il méritait que je sois honnête avec lui. Il l’avait gagné, du moins.

J’affrontai son regard et relevai le menton.

— Non, je ne te fais pas confiance. Pas à ce point. Je ne te ferai jamais confiance à ce point. Je suis désolée.

Quelque chose s’éveilla dans ces yeux ambre sombre, mais je n’aurais su dire quoi. De la douleur, de la colère, de l’exaspération, de la fourberie ? Un mélange de tout ou peut-être rien de tout ça.

— Cela m’attriste, dit-il enfin.

Je cherchais toujours une réponse adéquate quand la pièce s’obscurcit et qu’un sommeil sans rêves s’empara de moi.

Morgane Kingsley, Tome 2
titlepage.xhtml
Black,Jenna[Morgane Kingsley-2]Moindre Mal_split_000.html
Black,Jenna[Morgane Kingsley-2]Moindre Mal_split_001.html
Black,Jenna[Morgane Kingsley-2]Moindre Mal_split_002.html
Black,Jenna[Morgane Kingsley-2]Moindre Mal_split_003.html
Black,Jenna[Morgane Kingsley-2]Moindre Mal_split_004.html
Black,Jenna[Morgane Kingsley-2]Moindre Mal_split_005.html
Black,Jenna[Morgane Kingsley-2]Moindre Mal_split_006.html
Black,Jenna[Morgane Kingsley-2]Moindre Mal_split_007.html
Black,Jenna[Morgane Kingsley-2]Moindre Mal_split_008.html
Black,Jenna[Morgane Kingsley-2]Moindre Mal_split_009.html
Black,Jenna[Morgane Kingsley-2]Moindre Mal_split_010.html
Black,Jenna[Morgane Kingsley-2]Moindre Mal_split_011.html
Black,Jenna[Morgane Kingsley-2]Moindre Mal_split_012.html
Black,Jenna[Morgane Kingsley-2]Moindre Mal_split_013.html
Black,Jenna[Morgane Kingsley-2]Moindre Mal_split_014.html
Black,Jenna[Morgane Kingsley-2]Moindre Mal_split_015.html
Black,Jenna[Morgane Kingsley-2]Moindre Mal_split_016.html
Black,Jenna[Morgane Kingsley-2]Moindre Mal_split_017.html
Black,Jenna[Morgane Kingsley-2]Moindre Mal_split_018.html
Black,Jenna[Morgane Kingsley-2]Moindre Mal_split_019.html
Black,Jenna[Morgane Kingsley-2]Moindre Mal_split_020.html
Black,Jenna[Morgane Kingsley-2]Moindre Mal_split_021.html
Black,Jenna[Morgane Kingsley-2]Moindre Mal_split_022.html
Black,Jenna[Morgane Kingsley-2]Moindre Mal_split_023.html
Black,Jenna[Morgane Kingsley-2]Moindre Mal_split_024.html
Black,Jenna[Morgane Kingsley-2]Moindre Mal_split_025.html
Black,Jenna[Morgane Kingsley-2]Moindre Mal_split_026.html
Black,Jenna[Morgane Kingsley-2]Moindre Mal_split_027.html
Black,Jenna[Morgane Kingsley-2]Moindre Mal_split_028.html
Black,Jenna[Morgane Kingsley-2]Moindre Mal_split_029.html
Black,Jenna[Morgane Kingsley-2]Moindre Mal_split_030.html
Black,Jenna[Morgane Kingsley-2]Moindre Mal_split_031.html
Black,Jenna[Morgane Kingsley-2]Moindre Mal_split_032.html
Black,Jenna[Morgane Kingsley-2]Moindre Mal_split_033.html
Black,Jenna[Morgane Kingsley-2]Moindre Mal_split_034.html